Biodiversité et résilience sous la loupe
Cet article s’intéresse aux notions de biodiversité, sous ses différentes facettes, et au potentiel adaptatif des arbres face aux changements climatiques. Comment s’adapter après un choc et retrouver un état d’équilibre ? La résilience, il s’agit aussi d’une belle métaphore qui concerne l’être humain.
Notre monde vivant est confronté à une série de changements climatiques. Très souvent, dans les médias on associe au changement climatique, exprimé au singulier, la hausse des températures moyennes. Mais c’est loin d’être le seul élément dans l’équation. On peut évoquer la modification des extrêmes de température, celle de la répartition des précipitations en fonction des saisons, la fréquence plus élevée d’évènements extrêmes comme des tempêtes et/ou des inondations …
Ces changements en cours provoquent des évolutions au niveau du comportement et de la distribution des espèces et ce phénomène va se prolonger : les migrations d’oiseaux, notamment, en sont perturbées, de même que les réseaux alimentaires. Nos forêts souffrent des changements climatiques : sécheresses successives, stress hydriques, attaques d’insectes et/ou de champignons, tempêtes… Aujourd’hui, la plupart des essences dominantes qui peuplent nos forêts (épicéa, hêtre, frêne, chêne…) montrent des signes de faiblesse. La période de végétation des arbres est allongée (débourrement plus précoce en fin d’hiver, mais aussi sensibilité aux gelées tardives fin avril, etc.)
Résilience
Face à ce constat : comment rendre nos forêts et nos zones naturelles plus résilientes à l’avenir ? C’est une question qui se pose et qui va se poser de plus en plus au cours des années à venir.
Tout d’abord, qu’est-ce que la résilience ? Pour un écosystème, la résilience peut être définie comme sa capacité à retrouver, au bout d’un certain temps, un état d’équilibre après avoir subi une perturbation. Le mot provient du latin « resilire » qui exprime un rebond. Il s’agit donc d’un processus d’adaptation pour survivre. Le choc peut être une tempête, une inondation, un manque d’eau (stress hydrique) à répétitions, etc.
Des efforts vers davantage de diversification des essences forestières sont en cours et c’est une très bonne chose. Au niveau forestier, il est acquis que privilégier des peuplements mélangés d’âges multiples, éviter les monocultures, favoriser la régénération naturelle là où les arbres sont bien adaptés (« en station » comme on dit) sont de bonnes pistes pour évoluer vers des écosystèmes plus résilients.
Comme l’explique très bien le professeur Jacques Rondeux (“La résilience forestière, vocabulaire et concepts”), ne faisons surtout pas preuve de dogmatisme ou de suffisance. Nous sommes encore loin de tout connaître en matière d’écologie forestière. À l’avenir il s’agira d’être prêt à faire évoluer les méthodes de culture, de gestion en fonction des nouveaux apprentissages et expériences, tout en portant une attention particulière aux capacités adaptatives des espèces.
Il faut se rendre compte qu’il n’existe pas de solution miracle ni de recette universelle. Par exemple, planter des arbres partout n’est pas la panacée, qui fonctionnerait partout et tout le temps, contrairement à ce que les messages de greenwashing tendent à nous faire croire. D’autres types de milieux (prairies sèches ou humides par exemple) sont aussi très intéressants pour la biodiversité. Il est essentiel de tenir compte des conditions locales, des essences d’arbres ainsi que des objectifs de gestion des espaces concernés.
Afin de favoriser au mieux la résilience d’un milieu, il est essentiel de préserver et/ou de restaurer sa biodiversité sous ses multiples aspects. Examinons cela de plus près.
Les différentes facettes de la biodiversité
La biodiversité est trop souvent considérée sous le seul angle de la diversité des espèces (chêne pédonculé, fauvette à tête noire, alliaire officinale, renard roux, polypore amadouvier…).
Or il y a également la diversité des milieux (habitats boisés, pâtures et zones ouvertes, pelouses sèches, zones humides, …). C’est la diversité de biotopes naturels qu’on peut retrouver sur un seul et même site qui constitue sa richesse en termes de biodiversité. Par ailleurs, cette pluralité de milieux présente un intérêt paysager indéniable.
Il y a aussi la diversité génétique qui peut consister à enrichir un milieu avec des essences végétales (arbres en particulier) déjà présentes dans un lieu mais avec des caractéristiques génétiques différentes. Par exemple, un hêtre (Fagus sylvatica) de régions plus méridionales en Europe ne dispose pas du même patrimoine génétique qu’un hêtre de la Forêt de Soignes. Bien entendu, il s’agira de gérer les espaces dans le contexte de sites Natura 2000, avec les obligations et contraintes qui y sont liées. Mais un fait est certain aujourd’hui : les arbres qui vont pousser naturellement ou être plantés au cours des années à venir ne connaîtront pas le même climat ni les mêmes conditions de vie que leurs prédécesseurs. Leur développement et leur existence même en seront impactés.
Enfin un quatrième aspect de la biodiversité est souvent complètement oublié ou passé sous silence. Il s’agit de la diversité fonctionnelle, concept très bien expliqué par Christian Messier, professeur d’écologie forestière. Il s’agit de la coexistence, sur une même parcelle, d’arbres qui ont divers modes de fonctionnement. Il est important d’étudier et de mieux comprendre comment les différentes fonctions agissent au sein d’un écosystème donné et répondent aux perturbations (sécheresses, inondations, attaques d’insectes, incendies …) afin d’augmenter la résilience des zones en question. L’idée est de maximiser les traits fonctionnels :
qualité de la “fane” des feuilles au moment de la décomposition (fane améliorante des bouleaux par exemple, en lien avec la qualité de l’humus),
capacité de dispersion des graines,
différences de profondeur d’enracinement (mélange entre essences à racines profondes comme les chênes et à enracinement plus traçant comme les érables sycomores, pour une meilleure stabilité mécanique des peuplements),
d’épaisseur d’écorce,
de densité du bois,
capacité à rejeter de souche,
types de mycorhize…
On parle de “ vaccination fonctionnelle” en ajoutant des espèces avec des traits fonctionnels manquants à un endroit. À une échelle plus large, la connectivité fonctionnelle du paysage peut ainsi être renforcée.
Potentiel d’adaptation de la Nature face à la rapidité des changements climatiques
Le saviez-vous ? Les plantes « se remémorent » des aléas météorologiques ou des attaques d'insectes. Non seulement les plantes ont une mémoire du stress environnemental, mais en plus elles sont capables de transmettre ces souvenirs. En d’autres mots, les graines des futurs arbres naissent prêtes à résister aux problèmes auxquels les prédécesseurs ont été confrontés.
Fascinant, n’est-ce pas ? La nature fait preuve de résilience par essence et est loin d’être fragile. Elle a une très longue histoire adaptative derrière elle, nettement plus ancienne que la présence de l’être humain sur cette planète.
Ceci dit, il s’agit de processus qui s’étalent sur de longues échelles de temps. Or, ce qui est effrayant dans la crise écologique actuelle --- ce qui en fait un défi majeur à relever --- c’est la rapidité des changements en cours et les conséquences qu’ils entraînent, par rapport au potentiel d’adaptation des espèces.
Notre environnement naturel possède un magnifique pouvoir : celui de nous connecter au Vivant autour de nous. Laissons à toutes ces espèces la place qu’elles méritent, pour elles-mêmes d’abord, pour la préservation des habitats ensuite et enfin pour tous les services écosystémiques que cela procure aux êtres humains (au niveau de l’eau, du stockage carbone, des sols, des îlots de fraîcheur en été…).
Tout ceci mérite bien de considérer plus que nos intérêts personnels, de « dézoomer », de regarder en face les enjeux qui nous impliquent toutes et tous en prenant davantage de hauteur.
Bonne fin de printemps à chacun.