Le monde des “blobs”

Ce mois-ci, partons à la découverte d’un organisme fascinant que l’on surnomme le « blob », en référence à un film américain de science-fiction.

D’emblée, je tiens à remercier la scientifique Audrey Dussutour, directrice de recherche au CNRS et spécialiste en éthologie (étude du comportement). Je trouve en effet que son ouvrage « Moi le blob », co-écrit avec Simon Bailly, est un vrai régal à lire.

Description

Ni animal, ni végétal, ni champignon (il a longtemps été classé dans cette catégorie, mais contrairement aux champignons, le blob se déplace).

Mais alors, qu’est-ce donc ?

Un myxomycète. Un quoi ? ;-)

Il s’agit d’un des êtres vivants les plus « primitifs ». Son nom scientifique lui a été attribué il y a 2 siècles, en 1822 : Physarum polycephalum, ce qui veut dire « petite vessie à têtes multiples ».

Il s’agit d’un organisme unicellulaire (classé dans la catégorie des « protistes ») qui n’a pas d’yeux, ni de bouche, ni d’estomac. Par contre, il contient des milliers de copies de son matériel génétique !

Cet organisme se développe en trois stades :

·         Phase de mobilité : sous une forme indéfinie ressemblant à une amibe (qui peut se multiplier en se divisant en 2) ou sous forme de cellule flagellée.

·         Phase de croissance : les cellules fusionnent entre elles pour former une cellule géante appelée « plasmode » qui double de taille chaque jour (jusqu’à atteindre plusieurs mètres de diamètre : 3 à 4 m²). Le blob se déplace vers sa nourriture à une vitesse de l’ordre d’un cm par heure (lorsqu’il est affamé, il peut pousser des pointes jusqu’à 4 cm /h). Au stade de plasmode, le blob est vascularisé avec une très haute efficacité : un vaste réseau de veines assure l’apport des nutriments et la coordination de la cellule.

·         Phase de reproduction : son corps forme des « sporocystes » et se transforme alors en plusieurs millions de descendants. Ses spores peuvent rester viables durant plusieurs années. Au moment où les conditions du milieu sont favorables au développement, ses spores germent et libèrent des cellules soit flagellées, soit en formes d’amibes.

Le moins qu’on puisse dire est que le blob ne traîne pas en chemin : il est capable de boucler son cycle de vie (de la spore au plasmode) en moins de 10 jours !

Où peut-on trouver des blobs dans la nature ? Voici les conditions idéales :

-          là où il y a de la matière organique en décomposition et à l’abri de la lumière directe (les blobs détestent les UV) ;

-          dans un lieu présentant une humidité adéquate,

-          sous une température modérée (idéal : entre 18 et 24 °C).

En d’autres termes : un peu partout sur notre planète et essentiellement dans des environnements humides, doux et ombragés (souches d’arbres en décomposition, litière des sous-bois, composts…).

Origine

Quand cet organisme est-il apparu sur notre planète ? Il faut pour cela remonter à une période extrêmement lointaine. Prenons une machine à remonter dans le temps (“mais oui Marty !”) et fixons le paramètre de date sur … 700 millions d’années.

Une ère où il n’y avait pas encore d’animaux ni de plantes terrestres. Qu’y avait-il à l’époque ? Des bactéries, des champignons et des algues microscopiques. Bref, beaucoup de possibilités de se nourrir pour le blob. Il est en effet friand de bactéries, de levures et de champignons, qu’il recycle en nutriments (utilisés par les plantes pour pousser et se développer).

 

Fascinantes capacités

Comme des planaires (ou vers plats aquatiques) par exemple, Physarum polycephalum a une capacité de régénération après amputation. Coupé en deux, il ne meurt pas. Il devient deux individus autonomes qui, lorsqu’ils se rencontrent à nouveau, n’en reforment plus qu’un seul !

En réponse à la sécheresse, au froid, à la chaleur, au manque de nourriture ou face à tout stress provenant de son milieu, le blob peut se mettre en état de dormance (il forme alors un « sclérote » : il s’assèche) pendant près de 2 ans, jusqu’au moment où les conditions environnementales sont à nouveau propices.

Alors qu’il peut être moribond avant de se mettre en dormance, à son réveil il est littéralement revigoré. Le blob affiche d’incroyables capacités de réjuvénation.

Immortel ? Non mais… ses capacités de réplication sont phénoménales : l’ADN d’un blob peut être répliqué des milliers de fois ! À titre de comparaison, la majorité des cellules chez un être humain peut être divisée 50 à 70 fois.

Le blob peut être mangé par des animaux, par exemple par des limaces, ou succomber à des coups de froid brutaux ou encore être littéralement grillé par les rayons du soleil.

Un maître de l’optimisation

Le blob ne dispose pas de cerveau ni de système nerveux. Cela ne l’empêche pas de mémoriser (avec des expériences dites d’habituation), de communiquer et de transmettre ses apprentissages à un congénère en fusionnant avec lui. Toutes ces capacités, aujourd’hui démontrées, ont fait l’objet d’études scientifiques.

Au Japon, des chercheurs se sont inspirés des blobs pour repenser le complexe réseau ferroviaire autour de Tokyo ! Simulant en labo la mégapole et 36 villes voisines, un blob a été placé au contact de 37 sources de nourriture. Grâce à sa facilité à se repérer dans l’espace et à reconfigurer en permanence son réseau veineux, le blob est un maître en termes d’optimisation. L’expérience a démontré que le blob a opté pour les chemins les plus courts vers les sources de nourriture. Par ailleurs, il ne passe pas deux fois au même endroit dans ses explorations. En effet il laisse derrière lui une traînée de mucus, qui agit comme répulsif pour lui !

Expérience du réseau de métro de Tokyo (source infographie : Wikipedia)

Le réseau établi par le blob s’est révélé économe en énergie et capable de résister à d’éventuelles ruptures de ligne. Les chercheurs ont transformé en algorithme la méthode du blob, qui optimise la circulation du réseau du métro de Tokyo.

Objet de recherche fondamentale

Biophysique, écologie, oncologie (les tumeurs cancéreuses se développent de manière similaire) et médecine régénérative (domaine de l’intelligence cellulaire, comment les informations sont-elles stockées dans les cellules ?) sont quelques domaines à citer.

La dépollution est un autre champ de recherche (études avec Fuligo septica, un autre blob). En effet, lorsqu’il se déplace dans son environnement, cet organisme accumule des métaux lourds, comme le zinc ou le manganèse.

Le blobs n’ont certainement pas fini de nous en apprendre…

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