Mieux comprendre les migrations d’oiseaux
Pour commencer : un chiffre impressionnant, 5 milliards. C’est l’estimation du nombre d’oiseaux européens hivernant au sud du Sahara chaque année !
En automne, des centaines de millions d’oiseaux quittent leurs lieux de reproduction chaque année et entament un long périple vers leurs zones d’hivernage, parfois situées à plusieurs milliers de kilomètres. Ces oiseaux effectueront le voyage en sens inverse au printemps suivant.
Ces longs voyages sont une question de survie pour de nombreuses espèces. Ceci dit, ces migrations comportent de nombreux risques (pour la majorité des petits passereaux, la prédation, les mauvaises conditions météorologiques et la difficulté de trouver des sites pour s’alimenter sont les principales menaces), nous les passerons en revue.
Migration : une adaptation à une pénurie saisonnière de nourriture
Commençons par une petite définition. Le terme « migrateur » désigne une espèce effectuant des déplacements saisonniers, passant les périodes de reproduction et d’hivernage dans deux régions distinctes, selon un schéma répété d’année en année.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser de prime abord, ce n’est pas directement la perspective de températures froides qui pousse les oiseaux à effectuer de longs déplacements en automne. La migration est avant tout une réponse à un manque de ressources alimentaires à une certaine période de l’année. Au cours de cette période « hostile », plus délicate, le froid, le manque de lumière (plus courte photopériode) ou la sécheresse par exemple provoquent la disparition des proies ou des plantes dont les oiseaux dépendent pour survivre.
· Dans nos régions, la disparition des insectes lors de la saison froide contraint toutes les espèces strictement insectivores à migrer vers des régions où elles peuvent subsister. On peut citer l’exemple des hirondelles et des fauvettes.
· De manière comparable, des oiseaux nichant dans la savane africaine migrent plus au sud quand survient la période de sécheresse.
Oiseaux migrateurs : des stratégies variables
Plus le régime alimentaire des espèces est spécialisé, plus il leur est difficile de trouver une zone d’accueil favorable. Il existe plusieurs stratégies de migration qui s’expliquent par les exigences écologiques (régime alimentaire, habitats) et l’histoire évolutive des espèces.
· Chez de nombreuses espèces insectivores, l’ensemble des individus qui nichent en Europe va migrer au-delà du Sahara pour passer l’hiver dans les savanes et les forêts tropicales de l’Afrique. Ces oiseaux sont qualifiés de migratreurs stricts. C’est par exemple le cas du gobemouche noir ou du pouillot fitis.
· Chez d’autres oiseaux, la stratégie de migration varie en fonction des individus et de leur origine géographique (migrations plus longues pour les espèces septentrionales que pour les espèces nichant dans le sud de l’Europe, certaines pouvant rester sédentaires au sein d’une même population). Ces espèces sont qualifiées de migratrices partielles. C’est le cas du rougegorge familier et du pinson des arbres par exemple.
Dangers de la migration
S’embarquer dans une migration n’est pas sans risque. Ainsi, statistiquement, seulement 50% des passereaux ayant entamé leur migration postnuptiale effectuera la migration de retour.
La principale cause de mortalité durant la migration est la prédation, surtout pour les passereaux. Par exemple, durant leur migration (qui dure +/- 6 semaines), on a estimé à 10% la proportion de pinsons (des arbres et du Nord) tués par des prédateurs (Lindström, 1989).
Certains événements climatiques, comme les grands vents et les tempêtes, peuvent déporter sur de longues distances certains migrateurs, en particulier ceux de petite taille, et causer une mortalité importante (par épuisement). Le brouillard peut également être la cause de désorientations importantes : au lieu d’un vol direct, les oiseaux peuvent se mettre à emprunter un vol circulaire ou en zigzags.
Les mers, montagnes et déserts constituent des dangers naturels inhérents aux migrations. Notons que la pollution lumineuse (celle au-dessus des grandes villes) provoque aussi de nombreuses collisions et désorientations. Dans le même registre, on peut ajouter les lignes électriques et les éoliennes.
La modification des habitats (notamment les zones humides) amoindrit la qualité et la quantité de nourriture disponible lors des pauses migratoires, essentielles pour que les oiseaux puissent se reposer et reconstituer une partie de leurs réserves de graisse en prévision de leur prochaine étape.
Baguage des oiseaux : pour quoi ?
De quoi s’agit-il ? Baguer nécessite de capturer un oiseau (via la pose de filets) et lui poser sur sa patte une bague métallique, très légère. Cette bague porte un code unique (généralement alphanumérique). Le bagueur récupère quelques données biométriques dont l’adiposité (quantité de graisse), le poids, la longueur des ailes, le sexe.
De cette manière, si l’oiseau est capturé plus tard par d’autres ornithologues, il pourra être identifié. Cela permet de connaître le lieu où l’oiseau a été bagué et donc de déterminer le trajet qu’il a effectué.
Afin de faciliter la lecture des bagues, les ornithologues ont développé une autre méthode qui consiste à poser des bagues de couleurs sur les pattes des oiseaux. Avec ce dispositif, les individus peuvent être identifiés à distance, à l’aide d’une logue vue ou de jumelles. Bon à savoir : la lecture des bagues de couleur se fait toujours de haut en bas en commençant par la patte gauche de l'oiseau.
Dans un premier temps, la technique du baguage a été développée pour élucider les mystères de la migration des oiseaux (où vont les espèces ? ; combien de temps prennent-elles pour s’y rendre? ; jusqu’où vont-elles ? …)
De nos jours, le baguage est surtout destiné à la conservation d’espèces sauvages. Etant donné qu’il existe des bagueurs à l’échelle internationale, le baguage permet d’analyser et de suivre l’évolution démographique des populations d’oiseaux.
Exemple concret de migration à observer
La période d’octobre et novembre est propice à l’observation d’oiseaux en migration vers leurs zones d’hivernage.
Les grues cendrées (Grus grus) ont une envergure impressionnante : jusqu’à 230 cm. Chaque automne des milliers de grues migrent du nord de l’Europe, où elles nidifient au printemps jusqu’en été, vers des régions plus clémentes. Il s’agit d’un voyage de plus de 2.000 km !
Il existe différents corridors de migration. En Europe occidentale ces oiseaux survolent l’Allemagne, l’est de la Belgique (région des Hautes-Fagnes notamment) et arrivent en France en Champagne (le lac du Der est un très bon spot d’observation entre fin octobre et fin novembre).
Auparavant, les grues poursuivaient leur route vers l’Espagne, où elles passaient l’hiver, principalement en Estrémadure.
On constate depuis quelques années une hausse importante du nombre de grues cendrées passant l’hiver plus au nord qu’avant : en Aquitaine, au nord des Pyrénées françaises, voire sur de nouveaux sites d’hivernage soit en Allemagne soit en France (en Lorraine, dans le centre de la France ou sur le littoral atlantique) et ce en plus petits nombres, au lieu de poursuivre leur périple jusqu’en Espagne voire au Maroc (en passant par le détroit de Gibraltar), précédemment leur zones d’hivernage traditionnelles. Le critère est toujours de pouvoir trouver des ressources alimentaires suffisantes.
De même, le long du corridor migratoire oriental en Europe (pour les oiseaux ayant passé le printemps et l’été en Finlande, dans les pays baltes, en Biélorussie), de plus en plus de grues cendrées passent l’hiver en Hongrie alors qu’auparavant elles poursuivaient leur périple plus au sud de l’Europe.
Voici un nouvel exemple démontrant que les changements climatiques en cours ont un impact réel sur la vie et les mœurs des espèces. Ces oiseaux sont en train de s’adapter à des conditions changeantes du milieu extérieur.
N’oubliez pas de lever la tête ;-)
Belles observations à chacun.